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Une légende traditionnelle de St Martin de Londres, revisitée.

Rosalie, une jeune bergère de Saint Martin de Londres gardait les troupeaux des propriétaires du village pour quelques sous. Elle était belle comme le jour, brillante comme le soleil et libre comme le vent. Elle se moquait gentiment de tous les garçons qui lui courraient après. RosalieChevre gardait un troupeau de brebis avec leurs agneaux et une seule chevrette. En effet, à cette époque, les troupeaux ne comptaient guère que des brebis. Avec leurs agneaux, leur laine et finalement, leur peau, elles assuraient la richesse des propriétaires. La chèvre du troupeau ne servait qu’à faire le fromageon quotidien.


Rosalie s’était attachée à sa chevrette, intelligente et taquine, qui savait trouver le croûton de pain dans les poches de Rosalie. La chevrette laissait les brebis brouter la baouco* entre les cailloux, alors qu’elle grimpait aux branches basses et cueillait les jeunes feuilles tendres. Rosalie et sa petite chèvre se ressemblaient et avaient développé une profonde connivence.

 

Rosalie était amoureuse de Alban. Le jeune homme l’accompagnait parfois et lui contait fleurette pendant qu’elle gardait.

 

Un jour ils oublièrent le monde autour d’eux, les bois, les brebis, les rochers pointus et les oiseaux curieux. Quand ils reprirent leurs esprits, Rosalie rassembla à la hâte les brebis dispersées et revint vite vers St Martin. Arrivée à la bergerie, elle réalisa que sa chevrette n’était pas là.

 

La bergère repartit vite à la cherche de la chèvre perdue, mais sans succès. Le propriétaire du troupeau était furieux. Rapidement, l’histoire se répandit dans le village et la pauvre Rosalie fut critiquée de toutes parts : les commères jalouses de sa liberté, les filles qui la trouvaient trop belle, les garçons téméraires éconduits… Tous murmuraient et les rumeurs sur la moralité de Rosalie enflèrent tant que le curé la convoqua à confesse.

 

Rosalie se rendit à l’église, suivie nombreux curieux qui voulaient voir ce qu’il adviendrait de la petite bergère un peu trop libre, en espérant secrètement qu’elle serait grondée par le gros curé.

 

Rosalie s’agenouilla du côté gauche du confessionnal et attendit son tour. Tout à coup, elle entend gratter derrière le confessionnal. Elle écarte doucement le panneau de bois et … quelle surprise ! Sa chevrette est là, toute frétillante « mais que fais-tu là ? » lui murmure-t-elle à l’oreille en lui passant les bras autour du cou pendant que la chevrette, heureuse de retrouver sa maîtresse, lui lèche affectueusement le visage. Rosalie, qui n’avait pas du tout pas envie de se confesser au gros curé, saisit sa chance : elle se glissa derrière le confessionnal. Elle y découvrit une espèce de tunnel où elle s’engagea en poursuivant sa progression à tâtons.

 

Le curé, bien installé sur son siège au milieu du confessionnal, se pencha enfin vers la petite fenêtre de gauche et s’adressa à Rosalie qu’il croyait être de l’autre côté de la grille du confessionnal. 

- Alors, ma fille, qu’as tu fait de mal ?

- bêêêê

- allons, ton effronterie est inutile et te dessert

- bêêêê , bêêêê !

Le curé furieux regarda à travers la grille en clignant des yeux et découvrit une chevrette dans le confessionnal !

 

Lorsque le curé ouvrit la porte, la chevrette sauta hors du confessionnal et se mit à gambader dans l’église, toute heureuse de se dégourdir les pattes après plusieurs jours passés dans le tunnel. Ce fut la stupeur parmi les gens assemblés dans l’église:

- Oh ! Rosalie est changée en chèvre !

- Aïe aïe aïe ! le curé nous a transformé Rosalie en chèvre !

- Le curé est un sorcier !

- Il exagère, elle ne méritait pas ça !

- Rendez-nous Rosalie !

 

Pendant ce temps, Alban était retourné chercher la chevrette dans les bois. Il était impossible qu’elle ait disparue comme ça, sans laisser aucune trace. Près de l’endroit où tout était arrivé, il battit la garrigue dans tous les sens, passa en revue tous les calavens*… rien. Il s’arrêtait, en silence, tendait l’oreille… mais n’entendait que son sang battre ses tempes. Enfin, il écarte les branches basses d’une blaque* particulièrement dense et trouve un petit bouquet de longs poils soyeux accrochés contre l’écorce rugueuse: il a retrouvé la piste de la chevrette ! Il rampe entre les troncs entrelacés et arrive à l’entrée d’une petite grotte bien cachée. Il comprend alors que la chevrette, curieuse comme pas deux, s’y est aventurée. Comme il n’a pas de lumière avec lui, il hésite un instant. En fait, il n’aime pas trop l’idée de s’engager en rampant dans un trou, sous la terre… Il reprend courage, glisse tête première dans la cavité, s’habitue un peu à l’obscurité, et appelle la chevrette, au cas où elle serait là, coincée ou blessée :

-  Tchouna, tchouna, tèèèèèè ! 

- Alban ?

-… ???

- Mais Alban, que fais-tu là ? où est-on ?

Le pauvre garçon est complètement ahuri ; il se demande s’il ne s’est pas cogné la tête un peu trop fort.

 

Bien sur, la grotte continue vers le village et arrive dans l’église ! Rosalie raconta tout à Alban : les grattements derrière le confessionnal, la chevrette libérée, Rosalie qui s’engage dans le tunnel, qui se faufile à tâtons, dans le noir, en cherchant l’entrée du tunnel que la chevrette avait emprunté, jusqu’à ce qu’elle entende Alban appeler.

 

Ils étaient aussi heureux de se retrouver que d’avoir résolu ce mystère. En effet, ils se sentaient penauds d’avoir perdu la chevrette dans ces circonstances et craignaient fort que cela fasse une tâche sur leur amour naissant. Bras dessus, bras dessous, ils reviennent au village, heureux comme des pinçons et forts de leur amour, qu’ils ne craignent plus d’afficher.

 

Cependant ils ignoraient tout de la tourmente dans laquelle Rosalie avait laissé la communauté ! Une partie des villageois criait à la sorcellerie, l’autre en appelait au jugement divin. Le curé ne pouvait faire entendre raison à personne, d’ailleurs, lui ne comprenait absolument rien à ce qui s’était passé. Mais tous regardaient la chevrette avec suspicion et méfiance…

 

C’est au beau milieu de ce chaos qu’arrivèrent Rosalie et Alban. Les villageois stupéfaits les regardèrent un long moment, bouche bée et bras ballants! Rosalie allait tout raconter pour s’excuser de s’être enfuie pour échapper à confesse, quand elle réalisa soudain que ce serait vraiment trop compliqué à leur expliquer, qu’ils ne voudraient pas la croire, et que de toutes façons, sa chevrette se portait bien, qu’elle avait retrouvé Alban et qu’ils s’aimaient. Alors sans un mot, elle se retourna, pris Alban par le bras et s’en alla, avec la chevrette sur les talons.

 

A partir de ce jour là, tout le monde respecta Rosalie. Avec Alban, ils fondèrent une jolie famille. Jamais, ils ne dirent quoi que se soit à qui que se soit. Seulement, de temps en temps, ils allaient se cacher derrière le confessionnal et riaient beaucoup (mais silencieusement) en entendant les confessions des villageois, bien plus naïfs que méchants.

 

Une fois devenus bien vieux, ils racontaient souvent une légende à leurs petits enfants ; et alors, leurs yeux pétillaient d’un éclair particulier. C’était la légende de « Baume Cabrette » ou la grotte de la petite chèvre : Il y aurait – parait-il - un tunnel reliant l’église de Saint Martin à la « Baume Cabrette » et une petite chèvre passait par là pour venir faire peur aux pénitents en grattant derrière le confessionnal. Mais personne, depuis, n’a trouvé ni le tunnel, ni la grotte.

 

Mais vous qui connaissez la vérité, vous vous demandez qui a creusé se tunnel, et pourquoi ?

Ah !...., mais, c’est là une autre histoire !

 

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lexique occitan

* baume : grotte

* baouco:  herbe sèche

* calaven:  lapiaz , un espace couverts de rochers calcaires lacérés de profondes fissures

* blaque :  un bouquet de chênes verts poussant à partir d'une même souche

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