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L'aven de la fausse monnaie

Un jour, un jeune berger de la Porcaresse (le grand mas au sud-ouest du Castellas), recherchant une brebis égarée, trouva un large aven dans les bois s’étendant vers le Pic St Loup. Il descendit en escaladant un à-pic de plusieurs mètres de haut. Jamais la brebis n’aurait pu descendre dans cet aven, si elle s’y trouve, elle s’est rompue le cou en tombant, se dit-il. Cependant, arrivé au fond, pas de traces de la brebis, ni dans la salle assez large qui s’ouvre à gauche. De l’autre côté, il découvre l’entrée d’une petite galerie. Tant pis pour la brebis ! Son esprit curieux prend le dessus, il sort une bougie de sa musette, l’allume, et part à exploration de la grotte.

Après un cheminement assez difficile et une longue glissade sur un talus argileux, il se retrouve dans une vaste salle. La maigre lueur vacillante de sa bougie semble se démultiplier et se refléter en une myriade de petits éclats argentés. Des quantités incroyables de pièces d’argent s’étalent, en vrac, sur le sol. Il y en a des tas et des tas! Le jeune berger n’en croit pas ses yeux ! Puis après quelques instants d’étourdissement, fourre autant de pièces qu’il peut dans sa musette et, tout ahuri par la découverte du trésor, remonte et se précipite à la Porcaresse.

Là, il s’installe dans le recoin qui lui sert de chambre pour examiner son trésor. Mais ça alors ! il n’y a plus rien dans la musette ! il n’y a plus aucune des dizaines de pièces qu’il y avait serrées. Pourtant, pas de trou au fond de la besace, pas de couture décousue, le lourd revers de cuir ferme bien hermétiquement le sac, le trésor a bel et bien disparu ! Aurait-il rêvé ? Serait-il en train de devenir fou ?

Il repart aussitôt vers la grotte pour s’assurer de la réalité du trésor et de sa santé mentale. Mais le patron, intrigué par le retour précipité du berger et son nouveau départ, tout aussi rapide, le suit, de loin, et il voit le berger redescendre dans l’aven.

Au fond de la galerie, le berger retrouve les millions de pièces : il n’a pas eu d’hallucination ! Rassuré et tout aussi excité que la première fois, il remplit à nouveau son sac. Une fois remonté à la surface, il vérifie le contenu de la musette, pour se rassurer, il plonge la main dans la besace et ressort une grosse poignée de pièces d’argent !

Le patron, qui l’observe en cachette dissimulé dernière les épaisses fougères, manque de s’étouffer ! Le berger rassuré court vers la Porcaresse tandis que le patron descend à son tour dans l’aven.

Le patron n’est pas aussi leste que le jeune berger, il a beaucoup de mal à descendre dans l’aven, mais l’excitation lui fait oublier ses rhumatismes. Arrivé en bas, il se fabrique une torche et avance à tâtons dans les galeries. Enfin, il pénètre dans la grande salle et voit le sol scintiller dans la pénombre : le trésor ! La poignée de pièces qu’il a vu entre les mains du berger ne représentait qu’une infime partie du trésor. Des monceaux de pièces s’étalent dans toute la salle, les galeries débordent également d’éclats d’argent. Il y en a pour des millions et des millions ! Il n’en croit pas ses yeux, danse, chante, se roule dans les pièces, devenu fou à la vue d’un tel trésor !

Pendant ce temps, en surface, de peur qu’on le voie à proximité de l’aven et qu’on l’accuse de vol, ou bien qu’on découvre la fameuse cachette, le berger détale comme un lièvre et court à perdre haleine vers son recoin familier. Déjà, il imagine tout ce qu’il va pouvoir enfin se procurer avec ce trésor inespéré, d’abord avec le contenu de son sac, puis, avec ce qu’il a laissé au fond…

Au fond de la grotte, après un moment d’ivresse, le patron recouvre ses esprits et remplit ses poches et le panel de sa chemise noué comme un tablier, puis escalade à grand-peine les parois de l’aven et court vers le mas. Arrivé dans sa cave où il prévoit de cacher la fraction du trésor qu’il a pu emporter : horreur ! Toutes les pièces ont disparues !

Lui aussi, comme le berger, se croit d’abord victime d’hallucinations. Mais non ! il y avait bien un trésor dans cet aven ! Penaud, il va se confier au berger, lui demande s’il a bien emporté des pièces d’argent et ce qu’il en a fait ; et qu’il se rassure, il ne les lui prendra pas !

D’abord vexé de s’être laissé espionner par le patron, le jeune lui conte malgré tout son aventure, ou plutôt sa mésaventure. Ainsi ils ont été tous deux bernés par ce mystérieux trésor, bien réel au fond de l’aven et dont les pièces n’ont d’existence que dans la grotte. Dès qu’on les éloigne de leur « coffre », elles s’évanouissent comme si elles n’avaient jamais existé.

Sans comprendre ce qu’il se passe vraiment, le berger réalise qu’il s’agit d’un mirage plutôt que d’un miracle. Il tire de sages conclusions de la leçon providentielle et choisit de ne pas courir après un mythe qui, à coup sur, détruit ceux qui le poursuivent. Il abandonne tout de suite cette course.

Par contre, le patron veut absolument profiter de cette « chance » de devenir riche. Si les pièces n’existent que dans la grotte ou à proximité immédiate, il va dépenser le trésor dans la grotte ! Il convainc son berger de faire venir les marchands et les colporteurs autour de l’aven. Il achètera leurs produits – qui eux ne disparaitront pas- et il deviendra riche !

Le jeune berger éprouve quelques difficultés à trouver, puis à convaincre des colporteurs d’aller au milieu de nulle part pour vendre leurs marchandises. Cependant, il parle tellement bien de ce milliardaire excentrique et dispendieux, qu’il arrive à en convaincre quelques uns. Enfin, de peur de laisser les bonnes affaires aux autres, tous les marchands d’étoffes, d’épices, de meubles précieux, de joyaux, de mets fins et rares, convergent de toute la région vers l’aven.

Les marchands sont d’abord très satisfaits des affaires: ils vendent toute leur marchandise, empochent de belles sommes, sans discussions, sans avoir besoin de marchander ! Mais quand ils s’éloignent de la grotte leurs pièces si facilement gagnées disparaissent ! Furieux, ils reviennent pour attraper et faire la peau au patron. Ce dernier, qui n’avait pas pensé à toutes les conséquences de son plan, se retrouve piégé dans la grotte, son dernier abri contre la colère des marchands. La confusion règne chez ces derniers. Certains se laissent amadouer par d’importants suppléments de pièces ! D’autres veulent trucider le faussaire ! D’autres enfin (peut-être les mêmes !) veulent descendre dans la grotte pour récupérer leurs biens et se servir dans les coffres du patron qui sont visiblement bien remplis ! Mais, l’aven semble bien sombre et surtout bien mystérieux ! Pas un n’ose s’y aventurer. Les couards montent le siège autour de l’aven : le faussaire finira bien par sortir !

Cependant, ils n’avaient pas beaucoup de provisions de bouche, ils vinrent rapidement à bout de leurs vivres, échangées entre eux à prix d’or, avec l’argent donné par le patron. Même les plus méfiants, même ceux qui ne croyaient pas au mirage, se laissèrent pourtant convaincre et échangèrent leurs marchandises contre des monceaux de pièces d’argent… Une fois qu’ils eurent épuisé tout leurs vivres, ils réalisèrent qu’ils s’étaient fait berner et avaient tout perdu ; ils s’en allèrent les uns après les autres, dépités, pauvres et honteux.

Pendant ce temps, au fond de l’aven, le patron millionnaire entouré de toutes les plus belles étoffes et des tapis les plus extraordinaires, se délectait des meilleurs mets dans les plus beaux plats,… mais il était prisonnier de cette fichue grotte. Il prit progressivement la mesure de sa cupidité et de son aveuglement, commençant de se lamenter en enviant la sagesse de son berger, mais c’était trop tard.

Immensément riche d’une monnaie qui ne vaut que dans sa grotte, quelques semaines plus tard, il mourut de faim, puni, et oublié de tous.

On retrouva bien plus tard son squelette, au fond de la dernière galerie de ce qui est désormais connu comme « l’aven de la fausse monnaie. »

Quant au jeune berger, il continua de garder ses brebis, s’installa définitivement à la Porcaresse qu’il fit prospérer par son travail.

Cric-crac, cette histoire est finie, mais vous pouvez découvrir les autres Contes du Castellas.

* Aven de la fausse monnaie ou Grotte du Mas de Londres (une description archéologique de la grotte)

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Published by M&M